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Les habitants du pré
par Christian Coté
Christian Coté, un des membres fondateurs de la Société d’ornithologie de la Vallée du Richelieu, nous entraîne à sa suite dans un de ses refuges de prédilection. Maintenant à la retraite, Christian a travaillé de nombreuses années à la réserve naturelle Gault. Il en connaît tous les trésors et nous offre en partage un texte écrit au début des années 2000 et mis à jour cet été. Laissez-vous guider par la poésie de ses mots. Vous n’aurez ensuite qu’une envie : vous rendre sur place dans ce fameux pré pour vous imprégner de sa magie.
Le pré constitue sans aucun doute l’un des endroits les plus singuliers de la réserve naturelle Gault. Alors que partout autour la forêt domine, son milieu ouvert offre une vision panoramique incomparable sur les collines qui forment une couronne autour du lac Hertel, dont les eaux s’étalent à une trentaine de mètres plus bas. Le pré n’a cependant pas toujours eu l’aspect qu’il présente aujourd’hui. Il s’agit en fait d’un endroit qui a connu de nombreux bouleversements au cours des derniers siècles.
On peut facilement imaginer que le pré a déjà été recouvert par la même forêt qui se dresse autour. Mais après la coupe de ses arbres, l’endroit a été utilisé pour différents usages. Ainsi, on y planta des pommiers, comme un peu partout autour de la montagne, où les terrasses au sol sablonneux et rempli de gravier conviennent bien à cette culture. Cependant, les conditions régnant dans le pré étant sans doute différentes, le verger fut abandonné au bout de quelques années. Vestiges de cette époque, quelques pommiers sauvages, descendants des arbres du verger, prennent encore racine au milieu et en périphérie du pré. Ils sont appréciés des Cerfs de Virginie, qui viennent parfois profiter de leur ombrage ou en consommer les feuilles tendres, et se nourrir de leurs pommes à la fin de l‘été. Lors de la floraison printanière, le Colibri à gorge rubis vient souvent visiter les bouquets de fleurs rosées qui parfument l’air d’une odeur subtile.
À une époque pas si lointaine, le pré s’est aussi transformé en pâturage, où broutaient paisiblement des chevaux qui profitaient en même temps du calme serein des lieux. Un chemin carrossable permettait encore l’accès à l’endroit. Aujourd’hui, ne subsiste du chemin qu’un étroit sentier obstrué de pierres, et le pâturage clôturé a disparu. Les chevaux ont quant à eux cédé la place aux Cerfs de Virginie. Si vous observez bien autour, vous pourrez vous rendre compte que la forêt reprend peu à peu ses droits. Les arbustes et les arbres pionniers, tels le Sumac vinaigrier, le peuplier et le Bouleau à papier, envahissent graduellement les lieux, et le pré rétrécit, lentement mais sûrement. Dans quelques décennies, peut-être ne sera-t-il qu’un souvenir, un simple accident de parcours dans la longue histoire du mont Saint-Hilaire.
Grâce à leurs caractéristiques propres, le pré et la végétation qui l’encadre servent de territoire de chasse, d’aire de repos ou de lieu de nidification à plusieurs espèces d’oiseaux. Au sud du pré, le sentier d’accès traversait il n’y a pas si longtemps un bosquet de vinaigriers, arbre pionnier qui avait atteint sa limite d’âge, et a été remplacé depuis par une jeune forêt. C’était là le domaine de la Paruline à flancs marron, un petit oiseau qui affectionne particulièrement les endroits où la forêt a été perturbée, tels les boisés en regain, pour se nourrir et y élever sa nichée. À compter du milieu du mois de mai, y retentissait un chant clair aux notes aigües, un « sî-sî-sî-huit-oui-tchou » répété presque inlassablement. Elle fréquente aujourd’hui d’autres endroits ainsi perturbés, où vous pourrez la reconnaître à son chant, lorsqu’elle est bien camouflée par la végétation. Tôt au printemps, le Merle d’Amérique se gavait des fruits du vinaigrier, alors que les insectes et les vers de terre, qui constituent son repas favori, faisaient encore cruellement défaut. Au début d’avril 2000, une importante tempête de neige a surpris plusieurs merles, fraîchement arrivés de migration, et les grappes bien rouges de cet arbre ont alors permis à plusieurs de survivre jusqu’à ce que le sol se découvre à nouveau.
Les fourrés inextricables qui bordent le pré camouflent à merveille un oiseau dont le chant révèle cependant la présence de façon très éloquente. C’est ainsi que vous faites connaissance avec le Moqueur chat, imitateur de profession, qui doit son nom à son cri d’alarme qui ressemble au miaulement d’un chaton. Certains diront que ses vocalises tiennent plus de la cacophonie que de la symphonie, mais nul ne doutera de ses talents de virtuose. Si vous êtes assez patient et que vous demeurez immobile, vous pourrez peut-être le voir surgir de la pénombre d’un bosquet pour aller se percher sur une branche, souvent à la hauteur des yeux. Vous découvrirez alors un oiseau au plumage gris ardoise et à la silhouette svelte terminée par une longue queue qu’il hoche nerveusement. Si vous l’observez attentivement, peut-être serez-vous aussi en mesure d’apercevoir les sous-caudales marron que cache la queue.
Le pré constitue un endroit privilégié pour observer l’un des représentants les plus remarquables de notre faune ailée: le Passerin indigo. Si vous visitez les lieux entre la fin mai et la fin juillet, jetez un coup d’oeil vers le faîte des arbres qui se dressent en marge ou au centre du pré. Vous apercevrez peut-être alors ce petit oiseau au plumage d’un bleu intense, qui y a établi son poste de garde, d’où il émet un chant aux notes doubles, hautes et variées. Peut-être le verrez-vous aussi se lancer à la poursuite d’un congénère trop insistant. Sa femelle se fait quant à elle beaucoup plus discrète sous son plumage terne, brun chamois. C’est dans les arbustes et buissons bas, où le couple cache son nid, que vous aurez le plus de chances d’apercevoir cet oiseau.
Au détour d’un sentier contournant le pré, il vous arrivera peut-être de tomber sur un pic de bonne taille arpentant le sol. Ce comportement, pour le moins singulier pour un oiseau de cette famille, s’explique du fait que le Pic flamboyant utilise son long bec pour fouiller le sol et sa langue extensible pour capturer les fourmis dont il se régale. Ce pic se fait souvent très bruyant lorsqu’il va se percher, ou plutôt s’accrocher à une branche en poussant un fort ricanement. C’est sa façon de dire qu’il est chez lui. Vous pourrez peut-être aussi voir une Couleuvre rayée franchir en trombe le sentier pour aller se camoufler dans les herbes hautes. Malgré le fait qu’elle peut atteindre jusqu’à un mètre de long, celle-ci est inoffensive, même si elle peut prendre une attitude menaçante lorsqu’elle se sent en danger. Elle est parfois la proie de la Petite Buse, qui est très habile à la débusquer grâce à son œil perçant.
Du fait que le pré constitue un grand espace ouvert au milieu de la forêt, de nombreuses espèces forestières doivent souvent le survoler pour passer d’un secteur boisé à un autre, s’arrêtant parfois dans le petit bosquet qui en occupe le centre. On peut ainsi observer le magnifique mâle du Cardinal à poitrine rose ou sa femelle plus discrète qui ressemble à un gros bruant. Il en est de même pour le bruyant Geai bleu ou la sympathique Mésange à tête noire. Il n’est pas rare non plus de voir l’impressionnant Grand Pic traverser en trombe l’espace aérien du pré. Au printemps, l’air matinal frais et humide vibre sous les notes saisissantes du Bruant à gorge blanche, qui fait un arrêt sur la montagne avant de gagner son lieu de nidification. Le Quiscale bronzé et l’Oriole de Baltimore peuvent aussi être vus dans le pré, alors que le Grand Corbeau ou sa cousine plus petite, la Corneille d’Amérique, survolent le secteur.
Le pré représente de plus un endroit privilégié d’où observer en vol les nombreux rapaces qui peuvent nicher sur la montagne, tels le Faucon pèlerin, les deux espèces d’éperviers (brun et de Cooper) et beaucoup plus rarement l’Autour d’Amérique, de même que la Petite Buse et la Buse à épaulettes. Lors des migrations, la Buse à queue rousse devient une silhouette familière dans le ciel; si la chance est de notre côté, on pourra apercevoir un Aigle royal ou un Pygargue à tête blanche planant majestueusement en altitude. Le Balbuzard pêcheur est quant à lui un visiteur assez régulier au printemps et à l’automne, et on pourra le voir en orientant son regard vers le lac, dont il survole les eaux poissonneuses en quête de repas. Une grande silhouette de rapace aux ailes larges et à petite tête, tanguant sous le vent, risque fort d’attirer l’attention, du début avril à la fin octobre. Il s’agit de l’Urubu à tête rouge, un nécrophage très utile du fait qu’il élimine les carcasses des animaux morts, nettoyant ainsi l’environnement de possibles bactéries et maladies, en plus d’odeurs plus ou moins agréables.
Au fil des saisons, le pré et sa végétation limitrophe attirent toutes sortes d’oiseaux. Ainsi, on y a déjà observé le Moqueur roux, la Pie-grièche grise et le Coulicou à bec noir. Au printemps de 1999, un Moucherolle des aulnes s’y est attardé quelques jours, tout comme au printemps 2000. En octobre 2000, un visiteur chanceux y a admiré une Chouette épervière pendant de longues minutes. Quelle que soit la saison, il y aura toujours des oiseaux autour du pré. Je me souviens d’une très froide fin d’après-midi de janvier où le silence le plus total régnait dans le pré, jusqu’à ce que les appels d’une Mésange à tête noire viennent me rappeler que la vie y était toujours présente!
Christian Coté
Mai 2001, révisé en juin 2024
Photos: Le pré – Christian Coté ; Passerin indigo – Daniel Jauvin